Réforme du lycée : point d'étape
Discours - Xavier Darcos 21/10/2008
Seul le prononcé fait foi,
Avant de commencer ce point d'étape sur la réforme du lycée, je voudrais mettre fin à une idée reçue qui hante depuis trop longtemps les salles de presse, les discours des observateurs et les
conversations de nos concitoyens.
On présente trop souvent, en effet, la réforme de l'Éducation nationale comme un parcours initiatique semé d'embûches. Dans cette vision épique de l'activité ministérielle, la réforme du lycée
est attendue comme l'épreuve
ultime, celle qui réserve aux ministres trop téméraires les périls les plus abominables.
Toute politique a sa part de mythe et l'Éducation nationale n'en manque pas. Le lycée, lui-même, a une force symbolique qui a beaucoup contribué à l'essor de l'idéal républicain. Le rôle d'un
ministre n'est ni de briser
ces symboles, ni de les confondre avec la réalité, mais de les remettre au service des Français.
C'est pourquoi je vous propose que nous laissions Sisyphe à son rocher et le Minotaure à son labyrinthe, et que nous parlions sans détour des enjeux de la réforme du lycée que je vous présente ce
matin.
Je veux d'abord répondre à une interrogation qui revient très souvent lorsqu'on évoque la réforme du lycée. Pourquoi réformer le lycée, alors même qu'il a permis à des millions de Français
d'accéder au baccalauréat
et aux études supérieures ? En quoi a-t-il particulièrement démérité ? Et que peut-on espérer de mieux d'un niveau d'enseignement qui a déjà fait beaucoup pour la démocratisation du savoir ?
Ces questions expriment le lien très fort qui unit les Français à leur lycée, et je partage d'autant plus cet ttachement que j'ai consacré au lycée une large partie de ma carrière
professionnelle. Je sais la qualité de ses professeurs et la formidable vivacité de ses élèves. Je sais aussi qu'il représente, pour les parents, un moment crucial où se décide l'orientation de
leurs enfants, une orientation pour laquelle ils ont formé bien des espoirs au cours des années qui précèdent.
Les Français sont fiers de leur lycée, et ils ont raison de l'être. Aucun autre secteur du système éducatif ne s'est autant transformé au cours des dernières décennies pour permettre de réaliser
l'idéal républicain de la
démocratisation du savoir.
Pendant près d'un siècle et demi, le lycée est resté l'apanage des classes les plus favorisées de notre société, qui s'en réservaient l'accès. Puis, en quelques décennies, le lycée a opéré un
bouleversement qui lui a permis d'accueillir des populations d'élèves toujours plus nombreuses, toujours plus diverses, pour leur permettre d'accéder au baccalauréat.
Cette démocratisation ne doit rien au hasard. Création de la filière économique et sociale, création des séries technologiques, création des lycées professionnels, refonte des filières : le lycée
a su s'adapter en permanence pour répondre aux évolutions de la société, sans rien sacrifier de son niveau d'exigence. Si les Français apprécient autant leur lycée, c'est parce qu'il s'est mis
progressivement à leur rythme et au service de leurs ambitions.
C'est pourquoi je ne partage pas le sentiment de ceux qui croient qu'on rend service au lycée en le figeant dans son organisation actuelle.
Réclamer le statu quo pour le lycée, c'est chercher à briser ce qui fait la force de son lien avec les Français. C'est le rendre sourd aux attentes de la société.
Naturellement, nous devons à tout prix protéger ce qui fait l'essence du lycée républicain. Je pense au socle de culture générale qu'il transmet à tous ses élèves. Je pense aussi au lien
particulier qui l'unit à l'Université et dont le baccalauréat, premier grade de l'enseignement supérieur, est le symbole le plus incontestable. Je pense, enfin, à la démocratisation de l'accès
aux études supérieures qui continue de reposer, pour une large partie, sur l'équilibre entre les séries de la voie générale et celles de la voie technologique.
Les Français ne demandent pas que l'on revienne sur ces missions qui ont toujours été celles du lycée. Mais ils demandent qu'on donne au lycée les moyens de les accomplir, comme on l'a fait pour
l'école primaire en redéfinissant les programmes et les modalités de soutien scolaire, comme on l'a fait aussi au collège avec la généralisation de l'accompagnement éducatif qui transforme le
rapport entre le temps de l'école et le temps des familles, et comme on l'a fait dans les lycées professionnels avec la généralisation progressive des baccalauréats professionnels en trois
ans.
Et surtout, ils lui expriment de nouvelles demandes : celle d'un meilleur accompagnement des élèves par les professeurs, celle d'un meilleur équilibre entre le temps de l'enseignement et le temps
du travail personnel, celle d'un lycée qui sache non seulement instruire ses élèves, mais aussi les accompagner progressivement vers l'âge adulte.
Notre lycée ne manque pas de moyens budgétaires pour répondre à ces demandes. Nous lui consacrons, chaque mois, un milliard d'euros, ce qui représente 22% de plus que la dépense moyenne des pays
comparables au
nôtre pour leur lycée. Mais c'est son organisation qui l'enferme dans desréponses trop uniformes à des besoins devenus plus complexes.
Nous devons à présent franchir une nouvelle étape dans la démocratisation du lycée : celle de la personnalisation que réclament non seulement les élèves et leurs familles, mais aussi beaucoup
d'enseignants. Ce constat
est d'ailleurs partagé par tous ceux qui ont signé avec moi les 11 points d'accord sur les objectifs et les principes directeurs de la réforme du lycée qui ont servi de base à la consultation
conduite par Jean-Paul de Gaudemar : l'UNL, la FIDL, le SNES-FSU, le SGEN-CFDT, le SNALC-CSEN, le SE-UNSA, le SNEP-FSU et les deux syndicats de chefs d'établissement, le SNPDEN et ID.
Le lycée que je vous présente ce matin reste fidèle à ses objectifs, celui de mieux préparer au baccalauréat et de mieux orienter vers l'enseignement supérieur, mais il se transforme
considérablement pour redéfinir la place
qu'il accorde à l'élève.
Le signe le plus fort de cette transformation est la nouvelle organisation du temps scolaire qui entrera en vigueur, pour la classe de seconde, dès la rentrée prochaine et dont l'objectif est de
favoriser une meilleure répartition des enseignements et de l'accompagnement tout au long de l'année.
Le découpage de l'année scolaire en trimestres, tel que nous le connaissons aujourd'hui, n'est pas satisfaisant. Nous avons tous connu ces années scolaires qui s'effilochent : quatre mois pour le
premier trimestre, trois mois pour le second, deux mois à peine de temps effectif pour le dernier trimestre, ce qui entraîne enseignants et élèves dans une course infernale au moment même où
chacun voudrait pouvoir prendre le temps nécessaire pour réfléchir à son orientation.
Avec ce découpage, les bilans qui sont proposés à l'élève viennent ou trop tôt, à la fin du premier trimestre au cours duquel l'élève a parfois mis un peu de temps à démarrer son année, ou trop
tard, à la fin du deuxième
trimestre, lorsque l'élève est déjà très avancé dans son année.
Dès la rentrée prochaine, la nouvelle seconde comportera deux semestres, ce qui nous permettra d'organiser quatre rendez-vous annuels avec l'élève au lieu de trois aujourd'hui : deux conseils de
mi-semestre, qui permettront aux enseignants de faire avec les élèves un point sur leurs difficultés, et deux conseils de fin de semestre, où sera notamment abordée l'orientation de l'élève.
Cette organisation semestrielle, qui ne modifiera pas le caractère hebdomadaire du travail des enseignants, donnera plus de temps aux élèves à la fois pour progresser dans les différentes
matières qu'ils étudient et
pour commencer à déterminer l'orientation qu'ils souhaitent poursuivre.
Elle permettra aussi à l'élève de faire un véritable bilan personnalisé en cours d'année et de recevoir les conseils et le soutien nécessaires pour progresser là où cela pourra lui être
utile.
A cette fin, une période de bilan et d'orientation sera organisée sur une semaine entre le premier et le second semestre.
Cette période pourra aussi être consacrée à l'expression orale, exercice que les élèves redoutent et qu'ils ont souvent peu l'occasion de pratiquer avant de se présenter au baccalauréat.
Cette période d'une semaine viendra prolonger les trois heures hebdomadaires qui seront désormais consacrées, dans l'emploi du temps de tous les élèves, à un accompagnement personnalisé.
Il s'agira, selon les besoins des élèves, de leur proposer un soutien scolaire personnalisé, une aide méthodologique, un conseil d'orientation, un travail interdisciplinaire ou, pour ceux qui
sont le plus à l'aise, un
travail d'expertise.
Je ne veux plus qu'un élève puisse rentrer chez lui à la fin de la semaine en se disant « je n'ai rien appris, je n'ai rien compris, l'école n'est pas pour moi ». Je ne veux pas non plus
qu'un élève se dise « j'aurais bien aimé approfondir ce que j'ai vu en cours mais on ne m'en a pas laissé le temps ». Le lycée doit savoir apporter des réponses différentes à des besoins
différents.
Dès la rentrée prochaine, une nouvelle organisation des enseignements s'appliquera à la classe de seconde.
Elle comportera trois grands ensembles : des enseignements généraux de tronc commun, sur une durée totale de 21 heures, 6 heures d'enseignements complémentaires proposés sous forme de modules
ainsi qu'un accompagnement personnalisé de 3 heures hebdomadaires dont je viens de préciser les objectifs.
J'ai entendu beaucoup de contre-vérités circuler sur le contenu de ces enseignements généraux, comme si on pouvait imaginer qu'un ministre de l'Éducation nationale puisse proposer de rendre
optionnel l'enseignement d'histoire et géographie ou l'enseignement des sciences expérimentales.
Je crois évidemment ces deux champs disciplinaires absolument essentiels à la formation du jugement et à la compréhension du monde par les élèves et c'est la raison pour laquelle ils figurent
parmi les enseignements
généraux que devront suivre tous les élèves de la nouvelle seconde, au même titre que le Français, les mathématiques, l'éducation physique et sportive et les langues vivantes, au pluriel puisque
l'apprentissage d'une
deuxième langue sera désormais obligatoire au lycée.
Des modules d'enseignement complémentaires viendront enrichir ce tronc commun. Les élèves devront en effet désormais choisir quatre modules parmi les domaines suivants : humanités, sciences,
sciences de la société et
technologies.
Cette organisation présente au moins deux avantages. Elle incite, d'une part, les élèves à conserver en seconde une certaine variété des enseignements qu'ils reçoivent, afin qu'ils ne s'enferment
pas trop tôt dans des filières dont ils ne pourront plus sortir. Elle leur donne, d'autre part, un droit au changement s'il s'avère à la fin du premier
semestre qu'ils se sont manifestement trompés dans leur choix. Cette plus grande souplesse et cette plus grande variété de la classe de seconde est la condition d'une orientation réussie en
classe de première.
Mon objectif est d'ailleurs très clair : trop d'élèves, 15% environ, redoublent aujourd'hui la classe de seconde, notamment pour des raisons d'orientation. C'est de la responsabilité de l'Ecole
de permettre à ces élèves de trouver la voie qui correspond à leurs capacités et à leurs goûts.
Ce principe d'organisation en modules sera également au cœur de l'organisation des classes de première et de terminale à laquelle nous allons continuer de travailler avec les organisations
syndicales d'enseignants et de chefs d'établissement et les représentants des lycéens au cours des prochains mois.
Vous connaissez déjà les objectifs qui animent ma démarche pour le cycle terminal : je veux qu'il soit plus efficace à la fois dans la préparation des élèves au baccalauréat mais aussi dans leur
accompagnement vers l'enseignement supérieur. Je n'oublie pas que près d'un étudiant sur deux qui entre à l'Université n'obtient pas de diplôme au bout de trois ans.
Sans vouloir empiéter sur les conclusions de ce travail, je voudrais cependant d'ores et déjà affirmer deux principes qui semblent, à mes yeux, s'imposer.
D'abord, le cycle terminal comportera naturellement des dominantes clairement identifiées. Je ne veux pas d'un lycée unique dans lequel chacun suivrait les mêmes enseignements, précisément parce
que c'est au lycée que l'élève doit pouvoir affiner ses goûts et réaliser ses choix.
D'autre part, nous conserverons la voie technologique à partir de la classe de première et nous offrirons à tous les élèves en classe de seconde la possibilité de choisir des modules
d'exploration dans le domaine des technologies.
Enfin, je rappelle que cette nouvelle organisation du lycée n'implique pas de réforme du baccalauréat, qui restera l'examen national auquel les Français sont si attachés.
Je voudrais dire un mot à présent de la méthode. J'ai voulu que cette réforme soit bâtie sur la concertation la plus large possible et je remercie Jean-Paul de Gaudemar de l'admirable travail
d'écoute, de synthèse et de proposition qu'il a accompli au cours de ces derniers mois pour recenser tous les scénarios d'évolution possibles.
On me dit cependant qu'il existe mille raisons de ne pas faire de réforme du lycée. On me dépeint des lycéens particulièrement irritables et des syndicats d'enseignants particulièrement
intraitables dès qu'il s'agit de faire évoluer le lycée. C'est une caricature, et je compte le démontrer car je sais que les points d'accord sur une évolution du lycée sont beaucoup plus nombreux
que les points de division.
Je veux dire aux syndicats d'enseignants et de chefs d'établissement que notre discussion n'est pas achevée. Je ne crois pas, notamment, que le SNES puisse rester durablement absent d'une
discussion qui va permettre de
dessiner le nouveau lycée et dans laquelle je veux aussi aborder la question de la revalorisation morale et matérielle des enseignants du lycée.
Je veux discuter avec les lycéens, dont je recevrai les élus en novembre, des attentes qui sont les leurs, notamment en matière d'orientation. Je serai également attentif à ce qu'un effort
particulier soit mené pour
accompagner les lycées dans lesquels les besoins sont les plus forts, comme j'ai déjà commencé à le faire cette année dans les 200 lycées qui présentent les plus grandes difficultés. Je rappelle
en outre que 600 emplois de professeurs supplémentaires ont été inscrits dans cet objectif dans le projet de loi de finances pour 2009.
Mesdames et Messieurs les Journalistes,
La réforme que je vous présente ce matin est celle d'un nouveau lycée républicain, un lycée qui ne renie rien des idéaux qui l'ont conduit jusqu'à nous, mais qui sait aussi répondre aux nouveaux
défis que lui adresse la société. La discussion que je mènerai au cours des prochaines semaines avec les lycéens, les enseignants et les chefs d'établissement sera l'occasion d'en préciser le
fonctionnement.
Je vous remercie.